Le procès d'Ivan Apaolaza Sancho : Deuxième compte-rendu de la délégation d'observation

Le procès d'Ivan Apaolaza Sancho : Deuxième compte-rendu de la délégation d'observation

En dessous :

Jour 2: Rapport de l'audience - Procès de Gorka Palacios, Jon Olarra Guridi, Oier Goitia et Iban Apaolaza Sancho

Lire mise en contexte et rapport sur Jour 1

Le juge en chef Alfonso Guevarra poursuit l'audience, répartissant les tours de parole entre l'accusation et la défense. D'un côté, la juge d'instruction Ana Noé, qui mène l'accusation, suivie de trois tierces parties à l'accusation, dont une association de victimes du terrorisme, et de l'autre, les 3 avocat-e-s de la défense.

Tout comme la veille, une dizaine de témoins anonymes sont introduits par l'accusation, en majorité des policiers, se contentant pour la plupart de ratifier le contenu de déclarations écrites au moment des faits allégués ou au cours des dix dernières années.

Ensuite, l'accusation et la défense entament leurs plaidoyers. La juge d'instruction Ana Noé résume la liste des preuves, les déclarations d'Ana Belén Egües Garruchaga et Aitor García Aliaga, ainsi que des empreintes retrouvées dans un appartement dans la ville de Salamanca, où ont été perquisitionnées des armes en novembre 2001.

L'association de victimes du terrorisme prend la parole ensuite, mettant l'accent sur le danger que représentent les "terroristes".

La défense a soulevé le fait que les fouilles entreprises par la police dans l'appartement de Salamanca étaient illégales, car elles n'avaient jamais fait l'objet d'un mandat d'un juge de l'Audiencia Nacional.

Les avocats de la défense ont aussi mis l'accent sur le fait qu'aucun des accusés ne semble faire face à des accusations claires le liant à un évènement particulier. On assiste plutôt à des allégations tentant de lier les accusés à une "criminalité" générale et de les associer à des activités "terroristes", sans toutefois faire la preuve d'un lien direct entre chacun des accusés et des crimes spécifiques ayant été commis.

La défense a mis en doute la crédibilité des empreintes retrouvées puisque les seules soumises en preuves se trouvaient respectivement sur un guide touristique et un billet de train, des objets mobiles qui peuvent aisément être transportés d'un lieu à l'autre ou échangés de main en main. La présence d'empreintes digitales sur ces objets dans des appartements ne saurait prouver le lien entre les personnes les ayant eus en main et des opérations terroristes. De fait, Iban admet avoir visité cet appartement en octobre 1999, ce qui expliquerait que des empreintes digitales lui appartenant soient retrouvées en novembre 2001.

Ce qui frappe du déroulement du procès est l'usage du témoignage obtenu sous la torture d'Ana Belen Egües Garruchaga. Cette preuve serait inadmissible dans une cour criminelle au Canada et est condamnée par la Convention contre la Torture de l'ONU (Article 15).

À la fin des plaidoiries, le juge annonce la fin des audiences et le public se trouve poussé vers l'extérieur de la salle, faisant un dernier signe aux accusés qui disparaissent derrière une porte close. Le verdict est attendu pour le courant du mois prochain, bien qu'il n'y ait aucune prescription de date pour celui-ci.

Quelques mots sur la couverture médiatique locale

Dans les jours précédant le procès, la condamnation de 4 terroristes de l'ETA était déjà annoncée en gros titres, amalgamant plusieurs attentats n'ayant aucun rapport avec les accusés, et allant même dans certains cas jusqu'à inventer de toute pièce des accusations.

La confusion qui règne dans les médias permet de noyer des éléments importants concernant la faiblesse des preuves matérielles, quasi inexistantes contre les accusés. Par ailleurs, les seules journalistes présents aujourd'hui ont quitté la salle d'audience au cours des plaidoyers de la défense, après avoir pris note judicieusement de toutes les interventions de l’accusation.

Le procès est considéré comme public, pourtant il ne l'est que partiellement. En plus du nombre de places limitées pour le public, les témoins sont inaudibles de sorte que seules les questions de l'accusation et de la défense sont intelligibles pour les familles et membres du public qui assistent au procès.

Visite à l'Ambassade canadienne

La délégation a rendu visite à l'ambassade canadienne à Madrid le lendemain du procès afin de faire un rapport. Elle a rencontré Nathalie Sauvé, une attachée politique au sein de la mission canadienne en Espagne. La délégation lui a dit que l'Espagne a utilisé une déclaration qu'un tribunal canadien avait reconnu comme probablement ayant été obtenue sous la torture comme preuve pendant le procès. Cette déclaration a été répudiée par la témoin qui a affirmé qu'elle avait signé la déclaration en détention secrète, lors de laquelle elle a été torturée et a subi de mauvais traitements.

Madame Sauvé a noté que l'ambassade a reçu des appels de personnes concernées. Elle a aussi indiqué que l'ancien chef du parti libéral, Stéphane Dion, a commencé à s'impliquer. Madame Sauvé semblait alarmée à la perspective qu'il y ait une attention médiatique autour de cette affaire. Une réponse du Ministère des affaires étrangères est attendue cette semaine.

Appel à la solidarité : Agissez !

Encore une fois, appelez ou écrivez à l'ambassadeur du Canada en Espagne Graham Shantz pour lui demander d'intervenir immédiatement dans ce dossier.

Mentionnez :

  1. Le Canada est directement responsable du sort d'Iban car il l'a déporté vers les autorités espagnoles en 2008.
  2. Il est de la responsabilité du Canada, selon l'article 15 de la Convention contre la torture, de s'assurer qu'aucune déclaration faire sous la torture ne soit introduite comme preuve.
  3. La CISR a reconnu que la déclaration d'Ana Belen Egues Garruchaga avait probablement été obtenue sous la torture.

CONTACT : mdrid@international.gc.ca


Comité Liberté pour Ivan
libertepourivan@gmail.com

Le procès d'Ivan Apaolaza Sancho

Le procès d'Ivan Apaolaza Sancho

Compte-rendu de la délégation d'observation Jour 1 (17 octobre 2011( & appel à l'action

Ivan Apaolaza Sancho in court in Madrid, 17 October 2011

Contexte

Le 18 octobre 2008, Iban Apaolaza Sancho, un militant Basque réfugié au Canada depuis 2001, était déporté du Canada, dans un vol charter spécial, les pieds et les mains menottées, puis remis aux autorités en Espagne. Sa déportation a eu lieu malgré une campagne de plus de 15 mois durant laquelle Iban était emprisonné à la prison de Rivière-des-Prairies à Montréal, et à la suite d'une décision de la Commission sur l'immigration et le Statut de Réfugié (CISR) qui le jugeait inadmissible au statut de réfugié pour des raisons de "sécurité". Cette decision, que la Cour Fédérale a refusé de reviser, était basée sur de simples allégations du gouvernement espagnol, elles mêmes basées sur des informations que la CISR a reconnues avoir probablement été obtenues par la torture. Son procès se tient à Madrid, où il est accusé d'avoir participé à la planification d'attentats qui n'ont jamais eu lieu, faisant face à au moins trente ans de prison, jusqu’à peut-être 55 ans.

Une délégation du comité Liberté pour Ivan est présente avec pour mandat :

  1. d'assurer une présence internationale en cour et manifester de la solidarité avec Iban et la lutte du peuple Basque pour l'autodétermination.
  2. d'agir en tant qu'observateurs et observatrices afin de s'assurer que la Audiencia Nacional respecte les standards de justice internationale.
  3. de fournir un lien direct avec les développements du procès et rapporter publiquement du contenu du procès.
  4. de rendre les authorités canadiennes imputables pour leur complicité avec la répression politique en Espagne.

Compte-rendu de la délégation d'observation - Jour 1 (17 Octobre 2011)

À Madrid, dans l'enceinte de l'Audiencia Nacional, tribunal spécial sur les questions liées au terrorisme en Espagne et héritier du Tribunal d'Ordre public franquiste, les portes s'ouvrent à certaines personnes tandis qu'une cinquantaine d'autres attendent à l'extérieur derrière un périmètrede police.

Pourtant une fois à l'intérieur la salle n'est qu'à moité pleine, au compte goutte les membres des familles de Gorka Palacios, Jon Olarra Guridi, Oier Goitia et Iban Apaolaza Sancho se frayeront un chemin vers la salle bien que plusieurs d'entre eux, après plus de 5h de voyage doivent rester dans la rue pendant que leur prochefait face à des sentence de prison à vie. La salle du public est séparée de la salle d'audience par un mur de plexiglas, avec sur le côté le box des accusés, lui aussi séparé des deux autres espaces.

Le juge en chef Alfonso Guevarra siège, répartissant les tours de parole entre l'Accusation et la Défense. L'audience comence par l'interrogatoire des quatre accusés, deux ont décidé de ne répondre à aucune question, rejetant la légitimité du procès en cour et deux autres ont refusé de répondre aux questions de l'accusation, ne répondant qu'à la défense pour les mêmes motifs, une pratique courante chez les prisonniers politiques comme moyen de contester le fonctionnement de l'Audience Nacional.

En effet, les lois espagnoles permettent à la police de détenir des suspects incommunicado jusqu'à 13 jours, sans aucun contact avec le monde extérieur, incluant leurs familles, leur avocat ou un médecin. Ana Belén Egües et Aitor García Aliaga ont tous les deux nié la véracité des faits rapportés dans cette déclaration comme il et elle l'ont maintes fois répété depuis la signature de celle ci : ces déclarations ont été effectuées pendant leurs détentions incommunicado, aprés avoir subi des tortures et des mauvais traitements.

Aucun des deux n'a jamais confirmé la véracité des éléments de cet déclaration devant un juge et tous deux ont porté plainte pour les sévices qu'ils ont subis.

En 2008, Martin Scheinin, Rapporteur spécial de l'ONU, notant que les plaintes de torture sont faites « continuellement » par des prisonniers qui ont été détenus incommunicado, a exprimé sa préoccupation à l'effet que le régime de détention incommunicado crée les conditions pour la torture et que les témoignages de torture sont régulièrement rejetés par les juges espagnols sans considération sérieuse et que les enquêtes sur les allégations de torture sont indûment prolongées 1.

L'utilisation d'informations obtenues sous la torture est terriblement inquiétante. Même les cours étudiant des cas de certificats de sécurité, pourtant décriés au Canada pour leurs standards de preuve bien bas, se doivent de rejeter toute information ayant été obtenue sous la torture.

Un rideau a ensuite été tiré, empêchant les accusés et le public de voir une dizaine de témoins qui ont témoigné de façon anonyme. Dans leur majorité, des policiers qui ne disaient n'avoir aucun souvenir précis de l'affaire, mais confirmaient la véracité de leur déclaration écrite soumise en preuve. Le juge Guevara a fini par dire à l'un des policiers qu'il avait entendu que ces derniers avaient reçu de leur supérieur l'ordre de seulement ratifier leurs déclaration sans rien ajouter.

L'introduction de témoins anonymes est très grave, et renforce le fait que les standards de loi acceptés par l'Audiencia Nacional contreviennent aux normes du droit international.

La succession des témoins dont l'anonymat mais en jeux la crédibilité, s'est poursuivie. La majorité des conversations de la cour s'effectuant hors de porté des micros prévue pour retransmettre à la salle du public, rendant impossible pour les familles de saisir l'ensemble du déroulement.

Cette journée d'audience confirme le traitement d'exception auxquels font face les prisonniers politiques Basques: tribunal spécial aux standards de loi qui enfreignent nettement les normes internationales du droit, notamment sur la question d'informations obtenues sous la torture, traitement méprisant des familles des prisonniers, sentences excessives. Ce système de répression manifeste s'inscrit dans un contexte de criminalisation accrue de tout mouvement Basque et de la société civile Basque.

Appel à la solidarité : agissez!

Aujourd'hui, appelez ou écrivez à l'ambassadeur du Canada en Espagne Graham Shantz pour lui demander d'intervenir immédiatement dans ce dossier.

Mentionnez:

  1. Le Canada est directement responsable du sort d'Iban car il l'a déporté vers les autorités espagnoles en 2008.
  2. Il est de la responsabilité du Canada, selon l'article 15 de la Convention contre la torture, de s'assurer qu'aucune déclaration faire sous la torture ne soit introduite comme preuve. Hors, la CISR a reconnu que la déclaration d'Ana Belen Egues Garruchaga avait probablement été obtenue sous la torture.
  3. Les standards de preuve acceptés à l'Audiencia Nacional contreviennent clairement aux normes de droit international.
  4. Une délégation d'observatrices canadiennes est sur place et il doit les rencontrer au sujet de ce dossier afin d'assurer que le Canada est imputable de ses décisions.
Contact:mdrid@international.gc.ca

1Voir aussi HRW, “Use of Incommunicado Detention”. De la même façon, dans deux récents jugements la Cour Européenne de droits de l'Homme a déclaré que l'État espagnol n'a pas respecté l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme en omettant d'enquêter en profondeur sur les plaintes de torture (San Argimiro Isasa c. Espagne (2507/07, 28 September 2010) et Beristain Ukar c. Espagne (40351/05, 8 March 2011))